Introduction au mémoire de:
Thibault LAGET
L’artiste peut-il envisager de créer une œuvre dont l’objet même est destiné à rendre le monde meilleur ?
Cette question s’est posée tardivement dans ma pratique car mon travail a débuté sur d’autres bases de recherches et en particulier ma relation à l’autre. Une analyse perceptive intimement liée à mes expériences et leurs conséquences dans l’interprétation du micro monde que je m’étais constitué.
La peinture s’est montrée très adaptée à cet exercice évolutif car chaque élément constitutif de l’œuvre réalisée – granulé de la toile, viscosité de la peinture, choix des couleurs, posture des sujets, déclinaisons d’un thème de recherche – m’apparaissait être une traduction rigoureuse de mes aspirations.
L’évolution de ma pratique picturale a été continue et s’est enrichie à mesure de ma capacité à y intégrer de nouveaux éléments extérieurs (technique, politique, émotionnel). Ainsi, d’une peinture synthétique quasi artificielle, il me semble avoir construit un univers plus complexe et analytique où les perceptions sociales sont devenues des questions centrales.
Si j’ai toujours travaillé la toile, mes médiums de productions se sont diversifiés et la nécessité d’explorer d’autres outils créatifs m’a à chaque fois ouvert de nouvelles portes de réflexions intellectuelles et/ou artistiques. Cependant, le défi a toujours été la pertinence des œuvres et le lien invisible qui les relie entre elles.
Le temps, les voyages, les résidences, la découverte d’autres travaux artistiques m’ont considérablement aidé à axiomatiser cette production et l’ancrer dans une démarche interdisciplinaire de recherche. Sculptures, jeux de société, projets collaboratifs, interventions, web TV… Sont quelques exemples de projets venus nourrir mon travail et l’étoffer ces quinze dernières années.
Cette démarche pluridisciplinaire s’est construite par accumulation et fait émerger une ligne conductrice consciente qui s’énonce lisiblement à quiconque s’y intéresse et que je nomme conscience sociale1.
Cette conscience sociale ou « consciencialisation » qui guide aujourd’hui mon travail m’a offert une très grande liberté créative et interprétative me poussant souvent à réagir au déterminisme qu’établit le marché de l’art sur l’art lui-même et les artistes.
Ainsi, si je continue à produire des œuvres dites « matérielles », je développe également des œuvres « immatérielles », des œuvres de l’invisible où l’art est sans objet ou alors simple résidu, œuvre anesthétique, comme le décrit Alain Patrick Olivier dans « Esthétique et anesthétique. L'avenir de l'œuvre d'art. » 2;
« La démarche anesthétique impose de mettre entre parenthèses la dimension objective, de faire abstraction de cet élément et de s’interroger sur le résidu de l’œuvre d’art, soit l’expérience qui est en jeu. »
Ces nouveaux champs exploratoires m’ont poussé vers des expériences atypiques et le Master Arts & Vision a joué un rôle central dans la formalisation et le bien-fondé de ma pratique.
En effet, il ne s’agissait pas tant de venir assister à un cours magistral mais plutôt d’accepter de voyager dans l’univers d’autres artistes, d’aller à leur rencontre physique et d’y rechercher des liens qui pouvaient nous rapprocher. Se laisser happer dans un circuit inattendu et inconnu pour voir ce qui s’y pratique mais également pour laisser l’inconscient choisir ce qu’il en retiendra.
S’intéresser à l’invisible, ce qui nous touche et nous inspire, changer notre regard et nos intérêts sans que l’on ne s’en aperçoive, voilà clairement l’un des trésors que je compte cultiver.
Pour ma pratique, j’ai initié la notion d’artiste entrepreneur social et ai imaginé une entreprise artiste pour la faire exister : Group-system. Ce mémoire sera donc la formalisation de mon chemin expérimental, un voyage artistique, philosophique et conceptuel s’appuyant sur les pensées et les pratiques, d’artistes, de sociologues, de philosophes…