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Introduction au mémoire de: 

LAURINE WAGNER

ENTRE DEUX EAUX

    « La pensée artistique révèle alors le glissement du rationnel au sensible dans la recherche et nous permet d’expérimenter la création d’une connaissance apocryphe en état latent ». (Falcón, 2016) 

 

    Les arts, l’ensemble des œuvres artistiques, relèvent du domaine du sensible. À leurs égards et expérimentations, les humains, dotés de plusieurs sensibilités, peuvent « éprouver des sensations, [être] capable de percevoir des impressions ». L’artiste est créateur de multiples formes et l’art devient une expérience sensible qui interroge nos sens, nos émotions et soulève des questionnements interdisciplinaires profonds. De là découlent des collaborations, entre arts et sciences par exemple ou arts et innovations de nouvelles technologies numériques. Les disciplines se transforment, se renouvellent et s’apportent mutuellement des connaissances : des similitudes, des écarts, des échos et des rencontres naissent. 

    John Dewey, philosophe et pédagogue américain majeur du courant pragmatiste et psychologue, détermine un critère décisif quant à la valeur de l’expérience : « C’est à l’étendue et au contenu des relations que l’on mesure le contenu signifiant d’une expérience. […] L’expérience est limitée par tout ce qui entrave la perception des relations entre éprouver et agir ». Quant à Jean-Marie Schaeffer, philosophe de la réception esthétique et de la définition de l’art, il cherche à comprendre le comment et le pourquoi de l’expérience esthétique dans son ouvrage L’expérience esthétique. Il tente de la décrire, en quoi elle consiste « à la simple condition qu’il [quiconque] s’adonne à l’activité en question sans autre but immédiat que cette activité elle-même. ». Celle-ci « fait partie des modalités de base de l’expérience commune du monde et qu’elle exploite le répertoire commun de nos ressources attentionnelles, émotives et hédoniques, mais en leur donnant une inflexion non seulement particulière, mais bien singulière ». C’est ainsi qu’il développe ce qui se produit pendant une expérience à la fois physique et psychique pour comprendre quel est l’enjeu primordial tout en expliquant que l’œuvre d’art permet de stimuler nos organes des sens. Faisant référence à de nombreux philosophes, il repend une partie de la philosophie de Kant qui permet de mêler une Erfahrung (expérience) dans le temps et l’espace en parallèle à Erlebnis (connaissance) de cette expérience vécue appartenant à l’une des catégories de « l’entendement », de la « causalité ». L’expérience du quotidien, de la vie permet ainsi de créer de nouvelles connaissances et expériences.  

 

     Le quotidien dans notre ère actuelle est sans cesse inspirant et déconcertant. En effet, à travers ma pratique artistique, mes intuitions s’entremêlent avec des thèmes et réflexions plurielles. Entre art et vie, art et société, je me laisse porter vers l’ouverture à toutes disciplines. Par l’intermédiaire de vidéographies, d’installations, de photographies, de performances ou de poésie, je mêle les arts aux sciences humaines et sociales (philosophie, psychologie, sociologie), aux sciences environnementales (écologie, biologie, climatologie), aux technologies de l’information et de la communication (NTIC) et au numérique. En me considérant et en procédant à une ouverture vers les autres, je travaille sur les notions d’art-thérapie, la pensée du care à partir desquelles l’aide et le progrès font parties prenantes d’un processus de transformation. Depuis près d’un an je relie de plus en plus mes projets relatifs au domaine de l’écologie et de l’environnement tout en poursuivant mes recherches sur le numérique, les datas, la mémoire et les traces. Ainsi ma pratique artistique correspond principalement à des installations vidéographiques et/ou sonores immersives. Entre arts, sciences et société, l’expérience est au centre de ma réflexion en interrogeant des états « d’entre-deux ». Ces moments décisifs de passage sont suspendus pour ainsi révéler à notre conscience les traces mémorielles d’un processus de transformation. C’est pourquoi mon processus de création est comparable à un processus de digestion qui commence par des intuitions, des idées et des questionnements. Cette démarche engendre un temps de recherches, de décantation et de création. À travers l’écriture et la réalisation de mes projets, je cherche à prendre du recul pour extraire des éléments pratiques et les lier à des éléments théoriques. 

 

      Dans le cadre de mon mémoire de fin d’années de Master, j’ai choisi le titre « Entre deux eaux » qui renvoie à un état entre deux qui est relié à l’eau. Celui-ci renvoie à l’expression « nager entre deux eaux » qui signifie « ne pas prendre position, refuser de s’engager ». Cette expression date du XIVe siècle et est issue d’une métaphore marine pour parler d’une personne indécise : « lorsqu'un bateau navigue entre deux eaux, c'est qu'il est ballotté par les courants. Il doit arriver à maintenir le cap malgré tout ». Cela revient aussi à être entre deux eaux, deux territoires d’appartenance diverses ou deux périodes différentes. L’eau quant à elle est un liquide, un flux, un fluide, une source, une énergie : l’eau a la possibilité d’être insaisissable. En effet, cet élément possède toute une histoire et une symbolique. L’eau est la vie, elle symbolise la fécondité, la régénérescence et la pureté. A la fois purificatrice, sacrée, elle est connue des religions et des mythes pour son pouvoir de nettoyage des péchés et de purification de son âme peu importe la quantité. C’est aussi l’un des quatre éléments (eau, terre, feu, air) qui existe sous différents états (liquide, gazeux ou solide), l’eau s’adapte facilement mais il n’est pas facile de la saisir. Elle est source d’un élan, d’une force vitale qui peut s’avérer également destructrice. Ainsi entre deux eaux c’est aussi être entre terre et ciel, entre vie et mort. 

 

       Ce titre me concerne également personnellement car d’une indécision naît une observation et un questionnement ambivalent entre un côté pour et un côté contre. De ces dualités, ma pratique artistique cherche à capter le reflet de notre société actuelle où l’on est en permanence entre deux états : nous sommes entre-deux. C’est pourquoi j’inscris ma pratique entre l’éternel (intemporel) et l’éphémère, le fragile, le fugace ou le passager (temporel). Les paradoxes, contradictions, transparences et interrogations sont au cœur de ma création qui cherche à mettre en avant des états d’entre-deux : de passage, de seuil et d’état de transformation. Il s’agit de ce qu’il y a entre, un basculement d’un état à un autre, une modification, un état intermédiaire de flottement s’alliant au kairos : l’instant décisif. Mon intérêt rejoint des traces et souvenirs souvent traumatiques pour apporter un processus d’expression, de guérison : expérimenter pour se libérer. Néanmoins, le sous-titre plus explicite révèle un questionnement tant de notre mémoire individuelle et collective, nos capacités d’adaptation aux aléas de la vie et nos possibilités d’évoluer, de faire un pas vers une sagesse en comprenant, réagissant et guérissant : être meilleur, plus positif et se sentir mieux. 

 

       Tout en m’inscrivant en tant qu’artiste dans le champ de l’art contemporain, je me suis intéressée à savoir comment mes installations vidéographiques peuvent interroger nos mémoires, nos résiliences et nos processus de guérison tout en transformant notre monde via nos sensibilités entre perceptions et actions. 

D’une part mon processus de création sera mis en avant pour interroger ma pratique et mes théories artistiques via l’émergence de perceptions et, d’autre part, une étude de cas d’actions et de réactions sera déployée pour faire suite à mon voyage réalisé dans le cadre de ma deuxième année de Master Art et Création Internationale (MAVI – Master in Arts & Vision) pour appuyer mes propos.

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Figure 1 – Laurine Wagner, A cœur fermé, 2017, vidéo HD, son, 2’58’’

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