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Gwladys LETELLIER KIRSCHNER

L’eau comme élément, l’eau comme surface,

comme univers, comme barrière, contenant, protection ou support. Les eaux naturelles, leur recouvrement, leur isolement.

Les eaux artifcielles.

La lumière dans et autour de l’élément liquide.

Terre entourée d’eau, l’île est intéressante comme outil de réfexion : elle oblige à se déterminer par rapport à un ailleurs, par son isolement même du continent et des autres terres habitées. Espace fni, elle permet la projection mentale du rapport à un extérieur, à un Autre. Elle oblige à se défnir soi-même au sein d’un espace plus ou moins élargi, et dessiner ainsi son propre contour. Tel un accident, le motif de l’île, en tant que fgure géographique, se prête à toutes sortes de projections. Le Dictionnaire de la géographie nous dit qu’une île est une « terre

 

isolée de tous côtés par les eaux ». Paradis, refuge ou enfer, l’île, de par l’étendue marine qui la sépare du continent, apparaît, dans un contexte de mondialisation, comme le dernier territoire géographique matérialisant l’idée de distance, de rupture spatiale. Espace peu ordinaire, l’île évoque vaguement le rêve d’un paradis perdu.

«La fgure idéalisée de l’île

est une production historique de la culture occidentale: la construction moderne du désir d’île, née à la fn du 18è siècle, correspond au besoin de penser à l’existence pérenne d’un refuge, où la sécurité d’un temps plus cyclique permettrait le retour symbolique vers une humanité primordiale.»

Françoise Péron, in La GéoGraphie, 2008 Ma démarche d’artiste m’a amenée à explorer un certain nombre d’îles. Toutes ont été choisies pour leur rapport à l’histoire, la géographie et la politique.

Je m’attache à opérer un classement, à trier, à rapprocher par afnités décidées ou plus évidentes (séries «Périples»). Parmi elles, Cuba et Manhattan, îles toutes deux symboles opposés d’une liberté qui n’a pas la même défnition, n’ont pas produit chez moi les mêmes projections mentales. Les images –photographies et vidéos-issues de ces déplacements sont diférentes dans leur statut et transmettent un rapport autre à l’espace –notamment dans l’exploration de la liberté de circulation. Le Japon ou la Guadeloupe évoquent un ailleurs exotique et lointain; les îles de Ré, d’Aix ou d’Oléron renvoient quant à elles à un ailleurs plus accessible et plus connu. Or, le fait de franchir cette distance et de faire l’expérience par son corps de ce parcours, produit instantanément un éloignement dans la temporalité. Considérée comme hors des atteintes du temps, l’île est alors perçue comme archaïque. La distance vécue se transforme en éloignement temporel. Bulle protectrice fermée et autosufsante, imaginée et espérée comme l’envers du monde continental, la fgure de l’île réinstaure ainsi la notion de durée et de distance, et réintroduit, dans un monde moderne de communications ultra-rapides, la difculté d’accès à un lieu, tout autant que l’attente, l’austérité, la coupure. Ma démarche s’essaie à la réactivation du mythe insulaire, par l’expérience du déplacement. Le déplacement physique vers les lieux insulaires force à la confrontation avec l’espace, avec le franchissement, dans la durée mais aussi dans l’histoire, en particulier dans des îles riches de leur passé. Ainsi, en abordant Ithaque, j’ai voulu revivre non pas le périple d’Ulysse, mais l’expérience même du retour vers un lieu qui, même s’il m’était physiquement totalement

inconnu, représente dans la culture classique-et en grec moderne il le signife littéralement- le lieu rêvé, désiré, fantasmé.

« Ithaque n’est ici que le prétexte d’un retour qui devient, par les épreuves traversées, un véritable retour sur soi-même. Loin d’être des obstacles ou des empêchements, ces épreuves deviennent des sources de salut ou de connaissance et c’est pour elles, par elles, que le voyage prend son sens. »

Jacques Lacarrière à propos du poème de Kavafy, Ithaque Le corps devient alors lui-même une île, immergé dans l’eau ou isolé dans ses détails.

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